Aspects mathématiques du Pari de Pascal

Réfutation du pari de Pascal

Le Pari de Pascal tire ses arguments du cadre des jeux de hasard.

Le modèle mathématique de la théorie des jeux

Beaucoup de commentateurs contemporains formalisent le pari de Pascal avec la théorie des jeux dont les fondements ont été décrits vers les années 1920 par Ernst Zermelo, puis développés par Oskar Morgenstern et John von Neumann en 1944. Comme Pascal est décédé en 1662, c’est un anachronisme d’interpréter le pari de Pascal au moyen de la théorie des jeux, et le risque est grand de trahir sa pensée.

Par ailleurs, l’infini est traité comme une entité, ce qui pose des problèmes de réalisme dont nous reparlerons.

Le modèle mathématique de Huygens

La première personne à poursuivre avec succès les travaux de Pascal sur les jeux de hasard fut le mathématicien et physicien hollandais Christiaan Huygens. Durant la période 1655 - 1657, alors que Pascal vivait encore, il généralise la méthode de Pascal au cas où les probabilités de transition sont inégalement réparties. Il est aussi le premier à utiliser le terme d'espérance (Hoffnung). C’est cette manière historique de formaliser le pari de Pascal qui me paraît pertinente et que j’ai retenue.

En ce qui concerne l’infini, il ne sera pas traité comme une entité, mais comme une limite.

Un exemple de jeu : le plein à la roulette

La roulette comporte 37 cases numérotées de 0 à 36. Jouer «le plein» consiste à placer la mise, notée m, sur un seule case. Si le numéro choisi sort, le joueur gagne 36 fois la mise ; il s’agit du gain brut duquel on doit encore déduire la mise pour obtenir le gain net. Dans notre modèle, nous ne tenons pas compte de ce que le joueur laisse habituellement pour le personnel du casino. La variable aléatoire du jeu est

\[ \small \begin{equation*} \left\{ \begin{array}{ccc} −m + 36m = 35m & \text{ avec une prob. de } & 1/37,\\ -m & \text{ avec une prob. de } & 36/37. \end{array} \right. \end{equation*} \]
1/37 36/37 35 m -m

L’espérance de gain net du jeu est

\[ \begin{equation*} \begin{aligned} E &= 35 m \cdot \frac{1}{37} + (−m) \cdot \frac{36}{37} \\ &= (-\frac{1}{37}) \cdot m \end{aligned} \end{equation*} \]

Cela signifie que, sur un grand nombre de parties, le joueur perd en moyenne 1/37 de ses mises, au profit du casino. C’est un jeu à espérance négative.

La formule de l’espérance mathématique

Pour généraliser, considérons un jeu de hasard dans lequel, pour une mise m, on peut gagner un gain g avec une probabilité p. La variable aléatoire est

\[ \begin{equation*} \left\{ \begin{array}{ccc} -m + g & \text{ avec une prob. de } & p,\\ -m & \text{ avec une prob. de } & 1-p. \end{array} \right. \end{equation*} \]
p 1-p -m+g -m

L’espérance de gain net du jeu est \[ \begin{align} E &= (-m+g) \cdot p + (−m) \cdot (1-p) \\ &= -m + g \cdot p \end{align} \]

Retenons

\[ E = -m + g \cdot p \]

De cette dernière formule est tirée l’expression de la probabilité :

\[ p = \frac{E+m}{g} \qquad \text{ où } \quad g>0 \]

Les conditions 0 ≤ p ≤ 1 entraînent que 0  ≤ (E+m) ≤ g

Cas des jeux équitables

Dans le cas où l’espérance est nulle, on dit que le jeu est équitable. La probabilité de gagner est alors p = m/g. Par exemple, en misant 1 €, c'est un jeu équitable de pouvoir gagner 1000 € avec une probabilité de 1/1000 ; dans un autre jeu, en misant 1 €, il est équitable de pouvoir gagner 1'000'000 € avec une probabilité de 1/1'000'000. Lorsque le gain est énorme, la probabilité de gagner est infime. À mise constante, si le gain tend vers l’infini, la probabilité de gagner tend vers 0 : \[ p = \lim_{g\to\infty} \frac{m}{g} = 0\]

Cas des jeux dont l’espérance est grande

Si l’espérance est positive, il est nécessaire qu’un sponsor généreux participe à fonds perdus au financement des gains. Alors que les joueurs auxquels s'adresse le Pari s'attendent à une espérance mathématique proche de zéro, c'est-à-dire à un jeu pas trop biaisé, les croyants imaginent une espérance immense. Supposons par exemple que E vaille un milliard de fois la mise. Comme (E+m) est constant, la probabilité limite reste nulle :

\[ p = \lim_{g\to\infty} \frac{E+m}{g} = 0\]

c’est-à-dire à mise constante, si grande que soit l’espérance mathématique, lorsqu’on fait tendre le gain vers l’infini, la probabilité de gagner tend vers 0.

Pour s’en convaincre, considérons la suite de gains suivante : 10(E+m), 100(E+m), 1000(E+m), 10000(E+m), et ainsi de suite. Les probabilités correspondantes auront pour valeurs :

gp
10(E+m)0.1
100(E+m)0.01
1000(E+m)0.001
10000(E+m)0.0001
......
0

Pour obtenir ce résultat, il n’est pas nécessaire que l’espérance mathématique soit constante, mais seulement que sa valeur absolue soit majorée, c’est-à-dire qu’il existe un nombre E tel que, pour tous les gains,
|espérance mathématique|⩽E.

Finalement, le Pari de Pascal est infondé.

Discussion

Question

Il me reste un doute. Ainsi, pour moi, la probabilité que Dieu existe est peut-être petite, mais positive.

Réponse

Prenons une Église bien déterminée qui vous propose le salut à la condition de lui verser par exemple 100 € par mois. La probabilité que ce soit vrai est petite, mais on peut avoir un doute et juger que cette probabilité n’est pas nulle. Si vous n’effectuez pas les versements, c’est que vous ne soutenez pas jusqu’au bout l’idée de tenir compte des événements de faible probabilité. Pour quelle raison ? Vraisemblablement parce qu’il est impossible de tenir compte de tout ce qui serait éventuellement possible. On doit décider de ce qui est sérieux et crédible, et rejeter tout le reste.

Personnellement, je n’ai pas le genre de doute que votre question évoque, car je crois fermement n’être pas doté d’immortalité. Ainsi, le pari de Pascal est sans objet.

Question

Pourrait-on envisager que, avec g tendant vers l’infini, E tende aussi vers l’infini ?

Réponse

  1. On se retrouverait avec une indétermination du type «l’infini sur l’infini» ; la probabilité limite serait indéterminée, et l’on aurait échoué à montrer que la probabilité limite est positive.
  2. Pascal concède que la probabilité de gagner pourrait valoir 1/2 et décrète que la mise est nulle. Ainsi, pour lui, la formule à considérer est E = g/2. Par exemple,
    • si un jeu permet de gagner 1’000 €, on gagnerait en moyenne 500 € à chaque essai avec une mise nulle ;
    • si un jeu permet de gagner 1’000’000 €, on gagnerait en moyenne 500’000 € à chaque essai avec une mise nulle ;
    • si un jeu permet de gagner 1’000’000’000 €, on gagnerait en moyenne 500’000’000 € à chaque essai avec une mise nulle ;
    • en prolongeant à l’infini cette famille de jeux de contes de fées, on obtient évidemment un miracle, en l’occurrence le Pari de Pascal.
    Malheureusement, comme les ressources naturelles sont finies, pour passer à la limite, il est nécessaire de supposer que le surnaturel existe. Mais cette démarche consiste à admettre par hypothèse que Dieu existe pour prouver que Dieu existe. C'est un cercle vicieux. On peut conclure que, si la probabilité est fixée, on ne peut pas faire tendre le gain vers l’infini.
  3. Si le but est de convaincre des joueurs sceptiques, il est peu convaincant de faire appel à un acte de foi qui demande d’accepter à priori que le jeu est miraculeux, car il s’agit d’une caractéristique des arnaques. Puisqu’il faut être croyant pour que le Pari soit convaincant, le Pari perd beaucoup de sa substance : il n’est pas destiné à inciter des non-croyants à devenir croyants, mais seulement des croyants à devenir pratiquants.
  4. On aurait accepté comme hypothèse que «lorsque g tend vers l’infini, l’espérance mathématique E tend aussi vers l’infini», ce qui est un avatar du Pari de Pascal. Or, dans un raisonnement, admettre ce que l’on veut démontrer comme étant une hypothèse s’appelle un cercle vicieux.
  5. En faisant une promesse – le paradis – qui engage un tiers sur lequel il n’a aucune prise – Dieu –, le partisan du Pari met en oeuvre un procédé qui s’apparente à celui des escrocs. À ce sujet, lire la quatrième objection «Renversement du Pari ... ».

Question

Que répondre à «La probabilité d’obtenir un gain infini est peut-être proche de 0, mais elle ne tend pas vers 0 ! C'est un réel positif fixé.» ?

Réponse

  1. La démarche consiste à situer le Pari de Pascal parmi les jeux de hasard dont les gains sont gigantesques, proches de l’infini. L’expression «lorsque le gain tend vers ...» signifie simplement que l’on effectue une comparaison avec des jeux voisins dont les gains sont gigantesques, proches de l’infini.
  2. On doit pouvoir s’approcher du gain infini par une suite de gains de plus en plus grands et observer l’incidence que cela a sur la probabilité de gain. Nommons ε le «réel positif fixé». On peut calculer le gain g = (E+m)/p qui correspond à p=ε : il s’agit de gε = (E+m)/ε. Le modèle mathématique produisant une suite de probabilités qui tend vers zéro, cela a pour conséquence que tous les gains qui sont supérieurs à gε correspondent à des probabilités de gagner inférieures à ε :
    gp
    ......
    gεε
    10⋅gεε/10
    100⋅gεε/100
    ......
    ε ou 0 ?
    Malaise.
  3. La limite est le prolongement continu de la loi mathématique du jeu. Lorsque le dit «réel positif fixé» diffère de la limite, cela signifie que nous sommes en présence d’un saut, d’une discontinuité, et que la loi mathématique du jeu n’est pas respectée jusqu’au bout. Dans un jeu de hasard, les deux assertions «le gain est infini» et «la probabilité de gagner est un réel positif» sont incompatibles. Le Pari de Pascal ne se situe pas dans la lignée des jeux de hasard, mais en rupture avec eux. Le raisonnement de Pascal sort du cadre dans lequel il s’était placé. S’il s’agit d’une sorte de miracle, il faudra l’expliquer, de préférence par la raison plutôt que par la foi.
  4. Par ailleurs, en substituant les assertions «le gain est infini» et «la probabilité de gagner est un réel positif» dans la formule E = −m + g⋅p, on obtient une espérance mathématique infinie, ce que l’on peut approcher par «si la promesse de gain est gigantesque, alors on est quasiment assuré de devenir immensément riche». Voilà une affirmation dont les victimes des charlatans se repaissent, à tort.
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