Croyances et raison

Réfutation du Pari de Pascal

par Marcel Délèze

Enseignement du Pari de Pascal

Il est légitime de mettre le Pari de Pascal au programme des écoles. Mais il arrive que certains enseignants, peu respectueux de laïcité, développent ce thème au-delà de ce qu'exige la culture pour en faire un outil missionnaire, le but étant de préparer les élèves à accueillir la foi 1. Lorsque l'idéologie l'emporte sur le sens critique, l'élève doit le percevoir clairement. La raison exige alors qu'un contrepoids lui soit opposé.

Le Pari de Pascal

«Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.»

Blaise Pascal, Pensées, 1670

Le raisonnement du Pari de Pascal est circulaire

Admettons temporairement la valeur d'une chance sur deux pour la probabilité que Dieu existe. Si cela est, on gagne la vie éternelle au Paradis, et le gain est infini. Dans le cas contraire, on ne perd rien. Le choix semble facile à faire.

Il faut cependant se méfier des hypothèses cachées. D'abord, dans l'objet du pari, il n'y a pas que l'existence de Dieu, mais aussi que la religion catholique serait vraie et que la pratique religieuse conduirait au Paradis. Ensuite, il est prudent d'examiner ce que recouvre le terme «infini».

En mathématiques, l’infini apparaît comme limite de suites. Considérons par exemple la suite ainsi suggérée :

  • à un jeu dont la mise est nulle, à chaque essai, on gagne mille euros aléatoirement une fois sur deux ;
  • à ce jeu dont la mise est nulle, à chaque essai, on gagne un million d'euros aléatoirement une fois sur deux ;
  • à ce jeu dont la mise est nulle, à chaque essai, on gagne un milliard d'euros aléatoirement une fois sur deux,
  • et «ainsi de suite».

Or, les ressources terrestres sont limitées. Pour prononcer le «ainsi de suite», il faut admettre que le surnaturel existe. Autrement dit, Pascal suppose implicitement l’existence de Dieu, ce qui constitue un cercle vicieux, un raisonnement circulaire.

Formulation généralisée du Pari de Pascal

Initialement, le Pari de Pascal est censé soutenir la foi catholique. Mais son élément central - la possibilité d'un gain gigantesque - n'a rien de spécifiquement chrétien et peut être adapté à n'importe quelle doctrine qui promet beaucoup. Sa polyvalence permet même d'en exploiter le principe bien au-delà du domaine religieux. Sa formulation généralisée s'énonce : «Plus la promesse est merveilleuse, plus il est fondé de miser sur elle».

Variations sur le Pari de Pascal

Une publicité nous sollicite : «Si vous achetez ce produit, vous serez plus heureux. Si vous y renoncez, vous vous privez d'un grand service. Pesez le pour et le contre, et n'hésitez pas à l'acquérir !»

Un politicien harangue : «Je vais améliorer l'avenir de la société, et vous pourrez en profiter à votre aise. Il vaut la peine de miser sur moi : je compte sur votre vote !»

Un guérisseur qui demande d'avoir foi en ses pouvoirs : «Si tu me fais confiance, ta maladie disparaîtra et tu pourras vivre encore longtemps. Pourquoi ne pas essayer puisqu'il y a tant à gagner ?»

Le prêtre chrétien qui parle au nom de Jésus : «Si tu me suis, tu seras récompensé par un bonheur éternel. Deviens mon disciple, et ton gain sera infini !»

Au-delà du charlatanisme

Une hypothèse non vérifiée reste une hypothèse dont la confirmation ou la réfutation est reportée dans le futur. Par contre, une «hypothèse invérifiable» perd son statut d'hypothèse pour devenir une fable ou une idéologie.

Le principe du Pari de Pascal endort les crédules par le réconfort immédiat procuré par l'espérance d'un gain miraculeux. Le bonimenteur est indifférent au vrai et au faux, car il ne se soucie que de plaire, pour son plus grand avantage. Alors que les promesses des charlatans peuvent être invalidées par l'absence des résultats attendus, celles des propagandistes religieux sont absolument invérifiables, ce qui les situe au-delà du charlatanisme.

Pour les amateurs d'espérance mathématique

Dans le contexte du Pari de Pascal, la mise, qui est l'engagement chrétien, est fixée, ou tout au moins plafonnée. Dans ce qui suit, nous la supposons constante. Il reste deux variables : le gain et la probabilité de gain. Dans tous les jeux de hasard, plus vous visez un gain élevé, plus la probabilité de gagner diminue. Par exemple, en misant 1 €, c'est un jeu équitable de pouvoir gagner 1000 € avec une probabilité de 1/1000 ; dans un autre jeu, en misant 1 €, il est équitable de pouvoir gagner 1000000 € avec une probabilité de 1/1000000. Dans ce contexte, on peut affirmer que, lorsque le gain tend vers l'infini, la probabilité de gagner tend vers 0.

Que se passe-t-il si l'espérance mathématique E du jeu est non nulle ? La formule à considérer est la suivante :

\[ p = \frac{E+mise}{gain} \]

Alors que les joueurs auxquels s'adresse le Pari s'attendent à une espérance mathématique proche de zéro, c'est-à-dire à un jeu pas trop biaisé, les croyants imaginent une espérance immense. Mais cela ne change rien : même si E vaut un milliard, lorsque le gain tend vers l'infini, la probabilité de gagner tend vers 0.

Si la probabilité de gagner est positive, faire tendre le gain vers l'infini équivaut à admettre le surnaturel. Mais on ne peut pas en faire l'hypothèse puisque c'est précisément ce que l'on veut prouver. Dans le cadre des jeux de hasard, les deux assertions «le gain est infini» et «la probabilité de gagner est un réel positif» sont incompatibles.

On peut maintenant corriger le principe énoncé plus haut : «Plus la promesse est merveilleuse, moins elle est probable. Et, à la limite, elle est invraisemblable.»

Pour renforcer par un autre argument que «la probabilité d'obtenir un gain infini est nulle», appel est fait au document De la probabilité qu'une religion donnée soit vraie, ce qui nous amène à la situation suivante :

\[ E = -mise + \underbrace{\overbrace{gain}^{\to \infty} \cdot \overbrace{p}^{\to 0}}_{\text{indéterminé}} \]

Nous nous trouvons face à une indétermination du type «l'infini fois zéro». Ainsi le raisonnement mathématique aboutit à une impasse, et les conclusions qu'en a tirées Pascal sont infondées.

Ci-joint, un document mathématique dédié aux formules utilisées ici, accompagné d'une discussion.

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