Se libérer de l'emprise de la religion

Discussion

Cette partie «Questions-réponses» fait suite au document [...] Se libérer de l'emprise de la religion, mais peut aussi être lu comme un article indépendant.

Question

Même s'ils sont convaincants d'un point de vue rationnel, il y a quelque chose que les athées ne comprennent pas dans la religion et dans l'attachement des croyants à leur foi parce qu'ils n'ont pas vécu une aventure religieuse

Réponse

L'attachement à la religion est assez naturel. En effet, l'être humain ne se soucie pas prioritairement de la vérité, car il demande d'abord à être rassuré. À l'épouvantail du Jugement dernier, une parade doit être construite. Le désir de croire se forme souvent dans l'enfance, puis s'investit dans la foi. Il est assez normal que, dans un premier mouvement, l'instinct de survie et l'attachement aux disparus passent avant une réflexion avec un souci d'objectivité. Mais, la religion nous faisant sortir du réel, il est raisonnable de dépasser cette réaction spontanée qui vire au fantasme. Donner la préséance au désir est une forme d'orgueil à laquelle un adulte lucide devrait renoncer. Je préfère que le tragique de l'existence se manifeste par les arts.

Si on vous a inculqué une image positive de la religion, vous aurez tendance à la regarder avec bienveillance. Par contre, si votre représentation de la religion est négative, vous aurez envie de vous en éloigner. Pour se distancier de la religion, une motivation forte doit être présente dès le départ, sans quoi rien ne bougera. Celui qui n'a pas de problème n'a pas envie de changer. Ou alors, c'est le contraire : celui qui veut éviter de se remettre en question déclare qu'il n'a pas de problème. Il est plus gratifiant d'être conforté dans ses croyances que déstabilisé. Aucun argument n'ôtera la foi d'un croyant convaincu.

Beaucoup de gens se rendent compte que la religion présente des éléments inacceptables. La ligne de démarcation consiste en ceci : ceux dont l'esprit fonctionne sur un mode religieux en concluent que la religion doit être réformée, mais conservée ; les autres y voient la nécessité d'abandonner la religion. Cela dépend donc de la faculté de s'accommoder d'une religion boiteuse dont certains éléments gênants sont délibérément occultés.

Au départ de la volonté de se distancier de la religion, il y a un état d'insatisfaction, ou la sensation d'être sous le poids d'une oppression, ou une blessure intime. Ce peut être l'absence d'émotion religieuse ou une expérience douloureuse : un deuil, un long séjour dans une communauté fermée, ou quelque autre traumatisme. Par exemple, je reçois des témoignages de personnes qui sont terrorisées à la pensée du Jugement dernier et qui cherchent à apaiser leur peur. Pour moi, ce furent cinq années d'internat comme étudiant dans une école tenue par une congrégation religieuse, puis, plus tard, un poste d'enseignant dans une école à la fois publique et crypto-catholique (c'est-à-dire publique à l'extérieur et catholique à l'intérieur). Le poids de la religion s'exprime par la contrainte sociale.

À un certain moment, on estime que la coupe est pleine, que ça suffit, qu'il est temps de réagir, qu'il faut sortir de là. Celui qui a pris conscience d'être tombé dans un piège trouve l'énergie nécessaire de vouloir s'en sortir. Il faut donc entreprendre un rétropédalage, refaire à l'envers le chemin jusqu'à arriver à un carrefour qui offre une échappatoire. Dans le cas où la décision d'effectuer la marche arrière s'appuie sur du ressentiment, le mouvement de recul sera plus intense. Beaucoup d'athées ont vécu une vraie expérience religieuse, mais qui s'est mal terminée. Il ne s'agit alors ni d'ignorance, ni d'indifférence, ni d'incompréhension, mais de déception, de refus et de rejet de la religion.

La réaction qui s'ensuit ne peut que dépendre de son passé. Le souci de croire «bien» doit laisser place au désir de croire «moins». Il s'agit d'entrer dans un processus de désendoctrinement. On se fait implicitement une liste des choses auxquelles on n'est pas disposé à renoncer. Selon les personnes, cela peut être: l'existence de Dieu, Dieu est bon, la Providence, les dix commandements, la vie éternelle, le paradis, la protection d'un ange gardien, le réconfort d'une communauté, l'effet protecteur de la prière, les cantiques de Bach, l'odeur de l'encens, le goût des cérémonies religieuses, une relation avec un guide spirituel, des souvenirs d'enfance, et bien d'autres choses encore. Là, il est nécessaire de prendre conscience que, plus la liste est longue, plus il sera difficile de trouver une voie de sortie. Ma position personnelle m'a permis de m'en tirer pas trop difficilement, car la seule chose à laquelle je tiens vraiment, c'est le respect des droits humains. Alors que «le croyant en voie de moindre croyance» doit ménager ses attaches affectives, l'athée se caractérise par sa capacité à voyager léger. C'est précisément cette sorte de libération que doit viser celui qui désire se distancier de la religion.

L'intensité de l'attachement est un curseur sur lequel il est nécessaire d'agir, sans quoi on va rester sur place. Amorcer un processus spirituel de dissolution des attaches est donc indispensable, mais le résultat n'est habituellement que partiel. Chacun fait ce qu'il peut, compte tenu de la situation dans laquelle il se trouve. Je suis constamment sidéré de voir comment les croyants peuvent accepter, sans manifester la moindre ombre d'esprit critique, comme anesthésiés, la multitude d'absurdités dont les abreuvent leurs pasteurs. Il serait malséant de répondre à une homélie qui se reçoit comme une injonction morale. La capacité de se distancier de la religion peut être considérée comme un test sur le thème : «Dans quelle mesure suis-je capable d'esprit critique ?»

Les moyens mis en oeuvre dépendent de la culture du sujet. Si quelqu'un a été endoctriné en mettant la bible au centre, il lui faudra prendre de la distance d'avec la bible, repérer les contradictions, voir que la bible permet de soutenir n'importe quelle thèse selon les extraits que l'on veut bien mettre en évidence, prendre conscience que l'interprétation reçue nécessite d'accepter l'autorité à laquelle on a le devoir d'obéir, que cette autorité est discutable, etc. Si l'endoctrinement a plutôt porté sur le devoir de soumission à l'autorité de l'Église et sur l'enseignement du néo-thomisme, on pourra voir dans mon site personnel quels sont les outils de défense que l'on peut opposer. Je laisse ici ouvertes d'autres configurations dont les variations sont infinies.

Ma conclusion intermédiaire est que le chemin vers la sortie est nécessairement personnel, et qu'il serait utile de publier, non pas un témoignage tel que le mien, mais mille témoignages variés.

Il ne serait pas réaliste de faire de l'expression «en finir avec la religion» un programme de société, car trop de gens se complaisent dans le surnaturel. Pour beaucoup, le christianisme est réduit à une religiosité vague n'ayant que peu de rapport avec l'enseignement officiel. La majorité de ceux qui s'éloignent de la religion se bricolent une religion personnelle. Ils ne désirent pas vivre sans religion, mais éprouver des émotions hors des religions institutionnelles.

Comme il peut être plus difficile de cesser de croire que d'arrêter de fumer, beaucoup de croyants se laissent tenter par des accommodements personnalisés.

«Les croyants en voie de moindre croyance» pensent généralement que l'athéisme n'est pas adapté à leurs besoins et ne leur convient pas, car ils font passer la protection de leurs attaches affectives avant le désir de cohérence. Ils sont donc amenés à trouver une voie de sortie personnalisée qui ménage la chèvre et le chou, à leur convenance. Leurs univers mentaux sont meublés de tabous, chacun ayant les siens, aucun n'étant universel. Il s'agit de trouver le point où les forces répulsives (obéissance, devoir, obligation, fidélité à la communauté, péché originel, péché personnel, culpabilité, sacrifice, renoncement, jugement dernier, purgatoire, enfer, ...) sont compensées par les forces attractives (amour, pardon, sauver son âme, paradis, éternité, ange gardien, solidarité de la communauté, bonheur, ...). Typiquement, en relativisant la notion de péché :

manquer la messe du dimanche, avoir des relations sexuelles hors mariage, se remarier, etc., ne sont pas des péchés mortels, mais de petites fautes vénielles; tant qu'on n'a tué personne, Dieu, puisqu'il est bon et juste, ne va pas nous punir d'une manière disproportionnée par l'enfer éternel,

la religion devient presque sympathique mais, située hors du catholicisme romain, elle est devenue personnelle. Pour des personnes cultivant une autre sensibilité, mais dans la même mouvance d'une religion à la carte :

l'Église de Rome s'étant fourvoyée au cours de son histoire, je retourne à un christianisme plus proche des origines, et je me nourris de la Bible.

D'autres croyants tombent dans la contradiction de vouloir se détacher de leur foi tout en affirmant que leur religion est sacrée. Je n'ai pas fait l'inventaire des solutions possibles, mais je n'en connais aucune qui puisse me convaincre car, ce qui est recherché, ce n'est pas la cohérence, mais un équilibre des sentiments, dans une position qui peut n'être que personnelle, subjective et difficilement transmissible, donc peu crédible pour les autres, mais qui répond à l'adage :

«Peu importe que la religion soit fondée, pourvu qu'elle soit émouvante».

Pot-en-ciel
Pour développer son potentiel, il vaut mieux être solidement enraciné en terre plutôt qu'en Bible.

Quant à devenir athée, c'est une autre chose qui implique un changement de paradigme et nécessite, au moins durant une période transitoire, une véritable abnégation. Mais cela ne m'empêche pas de me sentir solidaire de toute tentative d'abandonner la foi, quelle que soit la voie empruntée. On peut expliquer pourquoi certains athées ont une attitude perçue comme agressive, tandis que d'autres ont un comportement et des propos plutôt retenus.

  • Les premiers ont généralement été fortement endoctrinés, ce qui fait que le chemin a été abrupt pour arriver à l'athéisme. Ils comprennent très bien la religion puisqu'ils en viennent. Les liens affectifs noués par l'expérience religieuse n'ont pas été considérés comme des données intangibles, mais comme un matériau à éroder.
    • Afin de dissoudre les attaches sentimentales, ils ont alimenté leur refus de la religion par mille arguments portant sur des défauts inacceptables et intolérables. Comme leur combat intérieur a été vif et a mobilisé une débauche d'énergie, il peut déborder dans le domaine public. C'est malheureusement mon cas, ce dont témoigne l'écriture de mon site qui est aussi un moyen thérapeutique d'aide à la reconstruction. Changer de point de vue pour se mettre à penser tout différemment, dans un cadre rénové, ne peut pas se faire du jour au lendemain.
    • Une variante bien visible sur internet est l'athéisme grossier qui se manifeste par le mépris, les insultes ou les injures. Ceux qui le pratiquent se distinguent des précédents par leurs difficultés à rationaliser et leurs lacunes dans les moyens d'expression, mais ils partagent le même but de développer la désacralisation et le désamour de la religion.
  • Les seconds, souvent moins endoctrinés, sont plus facilement arrivés à l'athéisme par la voie de l'indifférence religieuse. N'ayant jamais été ni en état de crise, ni en révolte, ils ont un comportement social plus discret.

Pour revenir à la question posée, celui qui n'est qu'au début du chemin du désamour religieux se sent d'autant plus incompris que l'athée est éloigné de lui, ce qui est normal. Celui qui est au loin perçoit un autre paysage. Par contre, s'il pense que l'espace qui les sépare est infranchissable, c'est soit que ses relations avec la religion ont été plutôt cordiales et sa motivation de quitter la foi est mince, soit que l'effort à accomplir pour s'extraire de la religion le dépasse complètement. Ceci dit, personne n'est tenu à se désengager complètement de toute croyance. Je salue cependant chaque pas accompli dans cette direction, si minime soit-il. Celui qui s'éloigne de la religion se trouve dans une phase de déconstruction des liens.

Après avoir fait un tour du problème, on revient au point de départ parce qu'on n'arrive pas à sortir de cette question :

«Dans ma marche arrière qui, par nature, est une opération de désamour, suis-je déterminé à remettre radicalement en cause des éléments fondamentaux, substantiels et émotionnellement chargés de la religion puis, le cas échéant, à y renoncer ?»

À partir de maintenant, je cesse de croire

Avant de revenir au thème de la foi, osons une comparaison. Pour arrêter de fumer, il faut d'abord le désirer. Une motivation peut être trouvée, par exemple, si l'on ressent des effets délétères sur la santé, tels que toux, bronchite, essoufflement. On peut aussi vouloir ménager ses proches. Mais les bonnes résolutions ne suffisent pas et, pour passer à l'acte, un soutien est généralement fort utile, par exemple une personne de confiance qui joue le rôle de coach.

Ainsi en va-t-il pour la croyance. Il faut d'abord ressentir le besoin d'arrêter de croire. Pour ce faire, on peut se baser sur les effets douloureux de la foi tels que le sentiment de culpabilité, la peur de l'enfer, les déceptions consécutives à des prières sans effet concret, la confrontation à l'injustice, l'absence de souffle divin sur l'Église, etc. Tous ceux qui nourrissent leur angoisse existentielle de forces spirituelles inquiétantes ressentent un malaise dont ils souhaitent se libérer. Mais cela ne suffit pas, car il faut encore passer à l'acte.

À l'Enfer, je ne crois pas.
En un Dieu juge et justicier, je ne crois pas.
Au Paradis, je ne crois pas.
Au Jugement dernier, je ne crois pas.
À la vie éternelle, je ne crois pas.

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Question

Et après, ne ressent-on pas des symptômes de manque ?

Réponse

L'amateur de café sucré déteste le café nature parce qu'il le trouve trop amer. Mais, s'il est motivé, il peut s'habituer à réduire la quantité de sucre, par étapes successives, jusqu'à zéro. Après quoi, il est probable qu'il trouve infect le café sucré.

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