À propos de l'héritage judéo-chrétien

Le malaise insupportable de l’exclusion

Texte en ligne de Michel Bavaud

Je suis assez vieux pour me souvenir que le slogan «Tradition Catholique» se retrouvait avec conviction dans les sermons du haut de la chaire et les discours politiques du grand conseil fribourgeois. Puis, le C de catholique est devenu l’initiale de chrétien pour ratisser quelques voix supplémentaires.

Enfin, par les progrès des études bibliques et par remords tardif des antisémitismes rampants ou génocidaires, «héritage judéo-chrétien» est devenu religieusement et politiquement correct.

Or, aujourd’hui, comme de nombreuses personnes que nous côtoyons se sentent exclues et même stigmatisées par une telle insistance qui les ignore et semble justifier notre méfiance, n’est-il pas grand temps de reconnaître toutes nos dettes envers la civilisation musulmane ?

Nos livres d’Histoire magnifient la victoire chrétienne sur les musulmans à Poitiers en 732. Si cette rencontre eût été pacifique, sans armes religieuses de la Croix et du Croissant, et que la science, l’art et la civilisation arabes de cette époque eussent enrichi la rudesse fruste des Francs d’alors, nous pourrions célébrer une grande victoire commune. Car quand les dieux se contredisent, les hommes s’étripent en interprétant et sacralisant les PAROLES.

Toutes les fêtes, toutes les traditions, toutes les religions ont des racines communes, et se transforment plus ou moins, selon les lois de l’évolution, au cours des siècles et des modes provisoires. Qu’on soit religieux ou non, le carnaval, les passages des saisons et leurs rites, les naissances et les morts aux symbolismes multiples sont des coutumes que l’on retrouve partout.

N’est-il pas urgent de reconnaître que nos héritages se sont enrichis des civilisations celtiques (tous les cimetières d’Irlande sont couverts de croix auréolées du soleil), gréco-latines, juives, chrétiennes, musulmanes, et probablement de bien d’autres ?

Mais ce qui est encore bien plus important, c’est de rappeler toute la dette que nous devons reconnaître aux sceptiques, aux athées de tous les temps qui ont préféré la raison à l’illusion, la liberté de leur intelligence à la soumission aux oracles, l’acceptation de leurs ignorances à la crédulité envers des fantasmes d’extra-terrestres. Ce sont eux qui permettent aux civilisations, aux sciences de progresser malgré les freins puissants des dogmes immuables incompréhensibles.

Que ceux qui préfèrent le recto-tono n’empêchent pas les autres de s’émerveiller de la polyphonie extraordinairement complexifiée d’interprétations diverses de l’énigme du monde, mais une bienveillance minimale n’en fait pas un drame, pourvu qu’aucune partition ne revendique une quelconque suprématie !

18 mars 2015

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