La religion en quête de pouvoir

L'autorité : la parabole du pacte magique

par Marcel Délèze

Comment asseoir le pouvoir et l'autorité sur des bases inébranlables ? La parabole suivante explique comment y parvenir.

Une décision sans certitude

Un de nos lointains aïeux, le chef d'un clan de chasseurs-cueilleurs, réfléchit au lendemain. Pour que les siens aient à manger, il lui faut entreprendre un action efficace. Que faire ? Aller chasser dans la plaine de l'ouest ? Aller pêcher dans la rivière du sud ? Aller à la cueillette dans la forêt du nord ? Il n'a, quel que soit son choix, aucune garantie de résultat. Il ne peut se baser sur aucune certitude, mais il est contraint de prendre une décision. Celle-ci est éclairée par la raison puisque chaque option a une bonne chance de lui être profitable. Son expérience va l'aider à faire, si ce n'est «le bon» choix, du moins un choix sensé et défendable devant son clan.

Le pacte magique

Il sait aussi qu'il prend un risque inévitable dont la responsabilité est lourde à porter. S'il rentre bredouille, son autorité sera contestée : plusieurs membres du clan n'attendent qu'une bonne occasion pour prendre sa place de chef. C'est pourquoi il va chercher le soutien de son parent qui est le chamane du clan.

Tacitement et inconsciemment, en défendant leurs intérêts au fil des générations, ils convergent vers l'idée 1 d'attribuer la décision à une divinité, ce qui les dégage de toute responsabilité. Leur rôle officiel consiste à rendre les dieux favorables. Le mécontentement populaire est préventivement dévié. En cas d'insuccès, il faut prier et faire des offrandes aux esprits. Cette pratique religieuse est décrétée indispensable à la survie du clan, donc obligatoire.

1  Un accord tacite dont la réalisation est diluée sur plusieurs générations peut être inconscient à l'échelle temporelle des individus.

Le statut de chef est solennellement déclaré «de droit divin». Une fonction du chamane, devenu prêtre, est, en tant que représentant des dieux, de légitimer le pouvoir en place qui, en retour, accorde une place privilégiée à la religion officielle. S'opposer à la volonté divine est plus grave encore que l'insubordination au chef et réclame un châtiment exemplaire. La concession du chef – partager le pouvoir avec le prêtre – est largement compensée par le renforcement de leur autorité commune.

Les succès des puissants et les riches sont ainsi devenus des manifestations de la bienveillance des cieux. En orientant le discours vers la volonté divine, le pouvoir terrestre ne peut plus être contesté. Là se trouve la vraie magie dont on peut vérifier l'efficacité dans beaucoup de sociétés.

Un fil rouge de l'histoire

Lors de son sacre, le roi de France, afin d'être considéré comme le lieutenant de Dieu sur terre et de fonder sa légitimité sur le droit divin, devait jurer de «chasser des terres soumises à sa juridiction tous les hérétiques dénoncés par l'Église».

Réciproquement, le pape accorde au roi de France le droit de nommer aux bénéfices majeurs – évêchés, abbayes – des candidats ensuite investis par le pape (Concordat de Bologne, 1516, entre Léon X et François Ier). Le roi acquiert ainsi du pouvoir sur l'Église, ce qui renforce la convergence des intérêts.

Quant au sort du peuple, selon le principe «cujus regio, ejus religio», la foi des sujets devait s'aligner sur celle du prince. Dans un contexte où la volonté des grands est imperméable à la tolérance, tandis que la propagande est radicalisée, les guerres de religion du XVIe siècle ont pu se développer dans un climat de haine sans limite. Le paradis est exclusivement réservé à ceux qui combattent l'Erreur avec détermination. Il n'y a pas de salut pour les tièdes. Tuer ne suffit pas : il faut éventrer, énucléer, émasculer, noyer, bref étaler le mépris de l'autre puisque ce dernier n'est pas humain, mais démoniaque.

Le pape Pie V encourage sans réserve le massacre des protestants. En 1569, il écrit à Catherine de Médicis :

«Pleine de confiance, vous devez, en accord avec votre fils le Roi très Chrétien, employer toutes vos forces pour venger les injures faites à Dieu tout-puissant et à ses serviteurs, en traitant les rebelles avec une juste sévérité. C'est ainsi seulement que, leur ayant infligé la punition que mérite leurs forfaits, le Seigneur se laissera fléchir. N'épargnez aucun moyen, aucun effort pour que ces hommes exécrables périssent dans les supplices qui leur sont dus.»

Pie V fut béatifié et canonisé. Qu'il soit devenu un modèle catholique sape l'autorité morale de la papauté et ne donne pas envie d'être fidèle à l'Église !

Pour organiser une administration efficace, il est est judicieux d'adopter le principe moral selon lequel «on doit parfois, pour un plus grand bien, accepter de faire le mal». L'abus d'autorité est justifié par l'intérêt supérieur. Naturellement, «seule l'autorité a la compétence de décider ce qui vaut le mieux». Et si, pour contenir une contestation, le recours à la répression devait s'avérer nécessaire, la référence à la volonté divine pourra aisément en justifier la rigueur.

Par exemple, l'Église peut expliquer qu'elle n'est en rien responsable des dérives de l'Inquisition, puisqu'elle s'est limitée à désigner où l'erreur doctrinale se nichait. Quant à l'exécution des sentences, elle peut s'en laver les mains, car les peines relevaient du bras séculier.

Dieu est fort utile pour justifier les privilèges. Ainsi en allait-il de la royauté de droit divin. Qui oserait contester l'autorité royale alors que celle-ci a été voulue et instituée par Dieu lui-même ?

«Ne cessons jamais de tenir le peuple sous le sceptre des tyrans ; protégeons les trônes, ils protégeront l'Église, et le despotisme, enfant de cette union, maintiendra nos droits le monde» [c'est-à-dire les privilèges de la noblesse].
Le marquis de Sade, dans La Nouvelle Justine

Dans le couple Église-État, il y a une dimension vraiment magique, au pouvoir explicatif infini.

Seuls quelques rares personnages ont eu le courage d'élever des objections aux incitations de défendre une vérité univoque. Ainsi Sébastien Castellion (XVIe siècle) qui disait :

«Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme».

Le sacré

Dieu est une panacée universelle, car Il est la réponse à toutes les questions. Il est de plus une source de pouvoir de ceux qui parlent en Son nom. La définition de ce qui est sacré, ainsi que l'établissement d'une hiérarchie dans le sacré, sont fortement influencés par les intérêts des élites et le type de régime politique en place.

Dans la notion de sacré s'impose l'idée que c'est l'Autorité, désignée par le clan ou la société, qui fixe les fondements de la manière de penser sans aucune possibilité de remise en question par des individus. Il ne s'agit pas de Dieu, mais de ses représentants qui décrètent la loi divine, la codifient et contraignent au conformisme. Dans les sociétés pré-républicaines ou non laïques, le sacré et l'autorité sont intimement liés. C'est pourquoi, à toute référence au sacré, il faut opposer les questions «À quelle autorité se réfère-t-elle ? Quel pouvoir tend-elle à renforcer ?»

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