Benedicamus

Texte en ligne de Michel Bavaud, Treyvaux

On se souvient que lorsque dans l’église des Cordeliers, on avait béni des animaux, le Père Marquart avait cité François d’Assise et avec humour avait rappelé qu’à la cathédrale, on bénissait même les motos. Dans une lettre de lecteurs (1), le prévôt Claude Ducarroz avait réagi en précisant qu’il n’avait pas béni les motos, mais les motards et très condescendant, il avait admis, qu’en cherchant bien, on pouvait trouver un « certain sens » à la bénédiction insolite des animaux. Je m’étonne d’une telle remarque. Il y a longtemps que les papes, chaque 21 janvier, bénissent solennellement de jeunes agneaux pomponnés et enrubannés déposés sur l’autel de l’église Ste-Agnès à Rome. Est-ce la ressemblance de ce prénom avec « agneau », probablement d’étymologie distincte, qui explique cette curieuse coutume ?

Il y a longtemps que les ordres mendiants venaient bénir fermes, écuries et troupeaux, distribuant à profusion du « bénit » (sachet de poussière de foin à mélanger au fourrage) contre quête du beurre, des oeufs et jambons… Non seulement les objets de piété : eau de tous les bénitiers des paroissiens, pain bénit, buis du dimanche des Rameaux, saint-chrême des confirmations et ordinations, cendres introductives du carême, encens des messes solennelles et des funérailles (même lorsque le corps donné à la science n’est pas présent, on encense et on asperge une photo à grande eau), chapelets, scapulaires, images etc. Et lors de la construction d’une église, les bénédictions de la première pierre à la dernière cloche, jusqu’à la consécration le goupillon ne chôme pas… Il n’y a guère de tronçons d’autoroute, de ponts, de tunnels (2), de barrages qu’on inaugure sans bénédiction idoine.

Trouverait-il (le prévôt bénisseur des motards), en cherchant bien, un « certain sens » à la bénédiction des canons par les évêques de chaque côté des frontières lors des guerres ?

Je veux bien admettre que ce mot de « bénir » a des sens certainement divers dans la liturgie catholique dérivée des liturgies juives, mais je préfère m’en tenir au sens profane bien avant qu’il soit confisqué par les religions..

« Bene dicere », c’est dire du bien de quelqu’un ou de quelque chose, c’est souhaiter du bien à quelqu’un, c’est le remercier, c’est le glorifier. Le contraire « male dicere », c’est médire, maudire, souhaiter du mal, injurier.

Tous nos « bonjour », « bonne année », « bonne santé » sont des « bénédictions ». Reste à nous le soin de leur donner toute la chaleur de notre sincérité plutôt que de les déprécier en simple usage superficiel de politesse.

(1) « La Liberté » du 29 septembre 2016 Courrier des lecteurs

Le 25 septembre, les Pères cordeliers ont béni les animaux dans leur église de Fribourg. Soit. Mais ils ont justifié ce geste un peu insolite par cette constatation: «On bénit bien les motos. Pourquoi pas les animaux ?». Comme célébrant «bénisseur» après la messe de Notre-Dame des Centaures à la cathédrale, je tiens à apporter une précision importante. Je n’ai pas béni les motos, mais les motards, à savoir des personnes humaines perchées sur leurs motos. Oui, j’ai demandé la bénédiction de Dieu sur ces chrétiens venus la demander librement dans la démarche de leur foi. D’ailleurs, j’ai été frappé de constater combien se signaient religieusement en réponse au geste liturgique de la bénédiction. En cherchant bien, on peut sans doute trouver un certain sens à la bénédiction des animaux. Mais la justifier par la bénédiction des motards, c’est quand même un peu cavalier! Je constate d’ailleurs que dimanche dernier le cheval est resté hors de l’église!

Claude Ducarroz, prévôt de la cathédrale de Fribourg

(2) Les hoquets de la Suisse laïque

La bénédiction du tunnel du Gothard en 2016 (y a-t-il eu un public hors le photographe de service ?) a risqué une chamaillerie supplémentaire entre les très chers frères séparés, concurrents, ennemis à degrés divers.

Soucieux de trêve confessionnelle, ils auraient pu confier le goupillon à l’imam (sunnite, chiite, ou autre), proposer quelques signes de croix à la pasteure représentant (si possible) les multiples « sensibilités » protestantes, faire psalmodier quelques sourates à un monsignor (agréé du Vatican ou issu d’Ecône ?) et demander au rabbin (libéral de préférence) de nous raconter la légende dorée de saint Gothard canonisé en 1131 par le pape Innocent II. Il eût fallu, hélas, bien plus de personnes pour représenter toutes les formes d’adorateurs d’abstractions célestes. Le carnaval à la sauce religieuse aurait été plus festif et aurait pu se jouer en plein air plutôt que dans le catimini d’un milieu de tunnel.

Mais le mot bénédiction n’a à l’origine aucune connotation religieuse. Bene dicere signifie dire du bien (de quelqu’un ou de quelque chose). Le vocabulaire est très souvent disqualifié indûment. Autre exemple significatif : hérésie, si j’en crois mes souvenirs de potache, est le substantif dérivé d’un verbe grec : choisir librement.

Soucieux de paix confédérale, on aurait pu, à moindre frais, demander à un quidam de dire du bien de l’identité humaine : nous sommes tous nés dans le hasard du temps et de l’espace sans l’avoir voulu et nous mourons tous sans le vouloir vraiment. Cette évidence crée un oecuménisme (autre mot grec rapetissé, puisque oecoumène exprime tous les vivants provisoires de la Terre) bien plus fort que la cacophonie des croyances et des rites religieux.

Michel Bavaud
Paru dans « Le Libre Penseur » décembre 2016

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